L’autre jour, dans un groupe Facebook de polymère, je donnais le conseil d’utiliser de l’eau pour la découpe de la pâte avec des emporte-pièces en plastique plutôt que d’utiliser de la fécule de maïs, en réponse à un post d’une personne se plaignant qu’une fois cuites, elle n’arrivait pas à retirer cette fameuse fécule de maïs de ses pièces.
Il arrive parfois que nos intentions soient mal comprises. Mon message, qui se voulait un simple partage d’expérience, a été mal reçu par une tierce personne. Sa réponse, un peu vive, traduisait sans doute une certaine sensibilité ou une difficulté à accueillir un conseil à ce moment-là de son parcours.
« Ne dites pas, c’est comme ça qu’il faut faire, les autres techniques ne sont pas bonnes, suivez la mienne parce que moi j’ai appris et j’apprends aux autres… »
Mon conseil n’imposait pas, il expliquait et exposait des faits. J’ai donc répondu :
« Je suis d’accord et pas d’accord. C’est très bien d’apprendre en autodidacte, de tester les choses par soi-même… c’est aussi souvent une perte de temps et d’argent car d’autres l’ont fait avant et ont les réponses. Donc c’est personnel : on peut choisir d’aller directement à la source pour apprendre (et on gagne des années d’expériences, on économise son argent parce qu’on n’achète pas le mauvais matériel, on ne gâche pas de matières premières…), ou bien, on peut choisir de se débrouiller seule (en ayant conscience et en acceptant que l’on passe beaucoup de temps à chercher des choses qui ont déjà été trouvées et expliquées, en n’ayant pas forcément les résultats attendus…). Chacun fait comme il veut. Après, oui, je suis d’accord qu’il y a rarement une seule bonne méthode, il y en a souvent plusieurs mais certaines ont plus d’avantages ou d’inconvénients que d’autres. Pour la fécule de maïs par exemple (ou le talc), on l’utilise beaucoup lors de la cuisson, pour éviter que 2 pièces crues polymérisent entre elles, mais pour la découpe à l’emporte-pièce, ce n’est pas le plus adapté car les résidus peuvent être très compliqués à retirer ensuite. Je vois, dans les groupes de polymère, des gens s’en plaindre tous les jours. Donc oui, ça marche mais avec de possibles complications ensuite. L’eau, ça marche et pas de complications. Je ne dis donc pas que ma technique est meilleure, j’apporte des faits, des explications scientifiques (je suis une ancienne ingénieure en biochimie). Libre à chacun de les prendre en compte ou non. Je ne suis pas là pour “convaincre” quiconque, je donne des infos et chacun, en fonction de son parcours personnel de développement artistique, en fait ce qu’il veut. »
En fait, je ne devrais pas me justifier car, comme je l’explique dans le commentaire et comme j’ai pu le constater au cours de mon expérience, les gens interprètent différemment les choses en fonction de où ils en sont dans leur parcours de développement artistique.

Les trois grandes phases du parcours de développement artistique
À partir de mon observation, et à la lumière de quelques repères issus de recherches et d’articles d’artistes, on peut esquisser trois (ou quatre) grandes phases que traverse souvent une personne dans son chemin artistique. Ces repères ne sont pas des cases rigides : chaque personne avance à son rythme, revient parfois en arrière, saute des étapes, reste longuement dans une zone. Mais ils peuvent aider à faire un point.
1. Le début : “Je veux faire/créer mais je ne sais pas bien comment”
- À cette phase, beaucoup d’interrogations : « Est-ce que je peux faire ça ? », « Ai-je le bon matériel ? La bonne technique ? »
- Les critiques, les retours ou conseils peuvent être mal reçus : la peur d’échouer, la peur d’être jugée, la peur de s’exposer… sont fortes
- La personne se positionne souvent comme « je fais ça pour moi, je tâtonne », en autodidacte
C’est un moment de tests, d’essais, pour voir si le sujet plaît et si ça vaut le coup de poursuivre dans cette voie ou non. Les personnes qui répondent de manière agressive ou rejettent les conseils sont souvent dans cette phase – elles ne sont simplement pas encore prêtes à véritablement apprendre ou à se remettre en question.
2. La phase d’ouverture : “Je commence à m’ouvrir, à accepter des idées, mais encore hésitante”
- Le moment où quelque chose se débloque : la personne ose poser des questions, s’ouvre un peu à d’autres techniques, d’autres visions, participe à des ateliers ou prend des cours de bases si elle en a envie
- La personne commence à expérimenter : « Et si je faisais comme ça ? », « Et si je testais ce matériau/cette technique ? »
- Elle est encore parfois récalcitrante, ou a des doutes mais a plus confiance en un professionnel qu’en Tik Tok par exemple
- Selon certains articles, cette période correspond à l’étape de « personal practice » (pratique personnelle) ou « motivation & mindset » (motivation et état d’esprit), dans le développement artistique
C’est un moment fécond – mais fragile : le risque est de rester là, ou de retomber en phase 1.
3. La phase d’approfondissement/de maturité : “Je comprends, je questionne, je crée de façon plus consciente”
- L’échange devient fructueux : la personne reçoit un conseil avec gratitude, demande le pourquoi du comment, veut comprendre « le mécanisme », pas seulement « la recette », si elle en ressent le besoin, elle prend des cours réguliers, suit une formation
- Son état d’esprit change : elle est réceptive, essaie, intègre. Elle ne se braque plus
- Elle est “dans la soif de connaissance”, la curiosité, l’envie de progresser
- La personne commence à avoir une signature artistique plus personnelle, à faire les choses “à sa manière” parce qu’elle acquiert peu à peu les capacités théoriques et techniques
Cette phase correspond avec ce que certains appellent le “soaring” (l’essor) ou le “share, show and soar” (partager, montrer et s’élever) permettant d’acquérir des connaissances et une pratique solides.
4. (Optionnelle) La phase de maîtrise / contribution : “j’expérimente au plus haut niveau, je partage, j’enseigne”
- Pour celles et ceux qui choisissent de continuer encore, on arrive à une phase où la technique est bien intégrée, le style se précise, l’artiste peut même modifier ou combiner les règles à sa façon
- La personne s’investit dans des échanges nourrissants : stages de perfectionnement, conférences, masterclass…pour se perfectionner toujours plus mais aussi pour débattre d’idées, confronter des points de vue, proposer de nouvelles pistes et contribuer à faire évoluer les pratiques artistiques
- Eventuellement, la personne transmet, enseigne, crée de nouveaux savoirs
Certains articles sur les “phases du développement artistique” parlent d’un niveau “mastery” (maîtrise). C’est le moment où la technique devient naturelle, où le geste s’efface au profit de l’intention : la personne repense son propre langage créatif, ne suit plus simplement les règles, mais les fait évoluer pour mieux exprimer sa vision.

Pourquoi c’est important de savoir où tu en es ?
- Parce que savoir où l’on se trouve dans ce chemin permet de mieux adapter ses choix : matériel, formation, mentor, temps à consacrer, attentes…
- Parce que cela permet de cultiver la patience : on sait que “ce n’est pas encore là” mais ce n’est pas un échec, c’est un processus
- Parce que cela permet de tirer meilleur parti des conseils : si je suis en phase 1, peut-être que j’ai besoin de structure, d’un·e enseignant·e. Si je suis en phase 3, peut-être que je cherche à approfondir, à créer mes propres règles
- Parce que cela permet de se libérer de la comparaison : comprendre que chacun est à un stade différent, que “ce que je vois chez l’autre” n’est pas nécessairement “où je dois être”, mais “où l’on peut se situer”
Et toi ? Où penses-tu te situer dans ton parcours de développement artistique ?
- Es-tu dans cette étape où tu cherches, testes, tâtonnes ? A l’aube de ton chemin
- Est-ce que tu expérimentes de plus en plus, deviens curieuse et t’ouvres à d’autres façons de faire ? Tout en restant tout de même un peu sur la réserve.
- Es-tu dans cette belle période où tu questionnes, comprends ce que tu fais, où tu crées en conscience : plus en profondeur et en donnant du sens à ce que tu fais ?
- Ou peut-être es-tu déjà dans un temps de partage, où ton style s’affirme et ton regard artistique s’épanouit pleinement ?
Prends un moment pour te poser la question. Et si tu le veux, partage-le. L’écriture le rend souvent plus clair.

Quelques conseils selon ton stade de parcours de développement artistique
Si tu es au début :
- Accorde-toi le droit à l’erreur, à l’expérimentation
- Choisis un·e bon·ne mentor, ou de bons tutoriels, et limite le nombre d’enseignements différents pour éviter la confusion (évite de faire en même temps de la polymère, de la couture, du macramé et de la pâtisserie, ça fait beaucoup)
- Travaille les bases (bon matériel, techniques simples, répétition, répétition, répétition)
- Ne te décourage pas si ça ne “ressemble pas encore” au modèle, au résultat attendu. C’est normal
Voici des photos de mes créations à mes débuts (on ne se moque pas, on commence tous un jour). Pour moi, cette 1ère phase en autodidacte à été très courte puisqu’elle a seulement duré 1 semaine. Ca doit être mon caractère mais ne pas comprendre ce que je faisais, pourquoi je le faisais, avoir des questions auxquelles les livres ne répondaient pas (il n’y avait pas de tutos sur le net à l’époque), et ne pas obtenir les résultats que je souhaitais m’a très vite saoulé LOL ! J’ai donc intégré des cours de polymère dès la semaine suivante.
Juillet 2012
Si tu es en phase d’ouverture :
- Continue à tester, mais commence à réfléchir : pourquoi j’utilise tel cran de ma MAP ? pourquoi je choisis telle technique ? quel résultat je recherche ?
- Accepte les retours et ose demander “comment” ou “pourquoi” (aux bonnes personnes)
- Continue de travailler tes bases (techniques simples puis de plus en plus complexes, répétition, répétition, répétition) (vous aurez compris que la répétition est importante)
- Garde un équilibre entre curiosité et direction. Autrement dit, essaie, teste, découvre, élargis ton horizon créatif mais tout en gardant (ou en cherchant) une cohérence, une intention, une ligne artistique (même simple), qui te guide dans tes essais
Après mes 1ers cours j’ai tout de suite vu une différence flagrante : je comprenais plein de choses, mon travail était déjà plus propre et je me passionnais de plus en plus pour ce matériau qui me fascinait (et me fascine toujours !). Je passais mes journées entières à patouiller, à découvrir de nouvelles techniques, à m’entraîner encore et encore. J’essayais de nombreux tutos dont ceux du magazine Polymère & Co
2012 – 2014
Si tu es en phase d’approfondissement :
- Explore ton style, interroge-toi sur ce que tu veux exprimer et sur les techniques, formes, couleurs… qui te correspondent vraiment
- Partage ton travail, échange avec d’autres créateurs, et accueille les retours (positifs comme négatifs) qui t’aideront à progresser
- Continue à apprendre, mais prends aussi le temps d’assimiler ce que tu découvres, de l’expérimenter et de te l’approprier pleinement
Lors de cette phase, j’ai commencé les stages de perfectionnement, et ça a été un déclic : moi aussi je veux enseigner, je veux partager cette joie, donner du bonheur aux autres… J’ai progressé à une vitesse folle grâce à mes bonnes bases et les enseignements des profs du monde entier. Les échanges avec tous les collègues créateurs (en présentiel ou en ligne) m’ont tellement enrichie. J’ai commencé à explorer mes propres techniques (ma canne champ de lavande pixelisée) et j’ai réalisé mon tout 1er tutoriel pour le magazine Polymère & Co (la parure Chameleon)
2014 – 2016
Si tu es en phase de maîtrise / contribution :
- Innove, repousse les limites, redéfinis les cadres…
- Continue à te challenger : ajoute d’autres mediums, nouvelles échelles, nouvelles collaborations
- Envisage d’enseigner, de transmettre, ou de créer des œuvres plus engagées
C’est ma phase préférée, celle de tous les possibles. Si en 2012 on m’avait dit que je ferai autant de choses, que j’aurai le privilège de goûter à autant d’expériences, je n’y aurai jamais cru. Moi qui sortais d’un 3ème burn out, qui ne pouvais plus travailler, qui étais devenue agoraphobe et pleine d’angoisses, depuis 2014 j’ai enseigné des ateliers, j’ai été recrutée par la marque Fimo en tant que démonstratrice, j’ai été recrutée par la marque de pâte belge pour réaliser leurs fiches de sécurité et créer une nouvelle gamme de pâte polymère, je suis devenue la présidente de l’association Pâte@Art, j’ai enseigné lors d’événements internationaux en ligne, j’ai été recrutée par une école artistique pour adultes pour y enseigner un programme d’1 an sur la création de bijoux en argile polymère (approuvé par le ministère francophone de l’éducation), j’ai digitalisé ce programme pour qu’il devienne accessible à tout le monde et enfin, je suis devenue la propriétaire et rédactrice en chef du magazine Polymère & Co. C’est pas dingue ?!? Je n’en reviens toujours pas, tout s’est tellement fait naturellement (je n’ai jamais postulé nulle part, tout est venu à moi spontanément), même si j’ai énormément travaillé pour construire tout ça et ai dû dépasser mes limites à chaque fois (angoisses handicapantes), la polymère m’a littéralement permis de renaître.
2016 – aujourd’hui

Un mot sur le “ressentiment” face au conseil
- Le conseil peut être mal perçu quand on est en phase 1 : “Je ne suis pas prête”, “Je ne veux pas qu’on me dise comment faire”, “Je veux trouver seule ma voie”
- Un bon conseil explique, éclaire, propose (c’est ce que j’essaie de faire au maximum) ensuite libre à chacun de le suivre ou non
- Le conseil est plus bienvenu (et mieux reçu) quand il est aligné avec le moment de l’artiste. Une débutante aura besoin de structure, une artiste en phase d’approfondissement aura besoin de questionnement…sauf que ce n’est pas évident de savoir sur 1 post sur un réseau social où en est la personne donc soyons indulgents les uns envers les autres et restons ouverts au dialogue

Conclusion
Ton parcours artistique est unique, personnel, façonné par tes choix, tes doutes, tes essais, tes réussites. Il n’existe pas de “bonne méthode” unique pour tout le monde. Il existe ta méthode, qui se dessine au fil du temps.
En prenant conscience de où tu es, et des besoins de la phase où tu es, tu peux avancer avec plus de confiance, de clarté, de douceur.
J’espère que cet article t’a plu et te sera utile.
Bises,
Allison





























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